Le vieux Montmartre . aux pavés inégaux ;on y trouve un peu de limpression quon éprouve auquartier des Béguinages de Bruges, ou encore danscertains coins de Venise. Les auberges et les cabaretssont, dans la journée, à peine éclairés ; les tables etlesbancs sallongent vides. Le « Lapin Agile» semblepresque une sorte de chapelle avec son grand Christqui se tord au bois de la croix, et la pénombre, quene peut dissiper la faible lumière tamisée, colorée,par le feuillage des arbres qui se pressent contre lespetites fenêtres. Tous ces objets inattendus, les toi-les et les dessins, sont comme envelop
Le vieux Montmartre . aux pavés inégaux ;on y trouve un peu de limpression quon éprouve auquartier des Béguinages de Bruges, ou encore danscertains coins de Venise. Les auberges et les cabaretssont, dans la journée, à peine éclairés ; les tables etlesbancs sallongent vides. Le « Lapin Agile» semblepresque une sorte de chapelle avec son grand Christqui se tord au bois de la croix, et la pénombre, quene peut dissiper la faible lumière tamisée, colorée,par le feuillage des arbres qui se pressent contre lespetites fenêtres. Tous ces objets inattendus, les toi-les et les dessins, sont comme enveloppés mysté-rieusement dans des recoins profonds et sombres. Les lampes ne dissipent pas toujours cette impres-sion de névrose. Au Lapin et chez Adèle, quelques intimes dînent LE VIEUX MONTMARTRE 89 tous les soirs à la grande table; presque tous ces con-vives ont eu des existences compliquées et gardent,au fond du cœur, une ancienne rancœur, comme unvague remords des choses qui auraient pu rendre. Le cafard leur vie tout autre. Ce souci persistant parfois seprécise en idée fixe et laisse anéanti et désemparé.Cest le « cafard »; il semble bien que la pensée mau-vaise soit comme un insecte rongeur qui se réveille,sagite et travaille. Le rire frais dun gosse, la 90 LE VIEUX MONTMARTRE réflexion hilare et banale dun bourgeois, l eblouis-sement dor et de pourpre du ciel au coucher dusoleil, augmentent encore cette On senva dans la nuit; les petites rues cahotiques éclairéespar la lune et par des becs de gaz maladroits ont unaspect fantastique. Les contreforts de la rue Gortotont des allures de gigantesques fortifications, lesarbres, aux silhouettes découpées, murmurent etchuchotent, lesjardins, la nuit, semblentvivre poureux, comme si toutes les plantes sétaient réveillées;les grands recoins noirs font frissonner. Dans les ateliers, lentement, le crépuscule tombeparles grands vitrages en imperceptible cendre grisequi enveloppe et at
Size: 1413px × 1768px
Photo credit: © The Reading Room / Alamy / Afripics
License: Licensed
Model Released: No
Keywords: ., bookcentury1900, bookdecade1910, bookidlevieuxmontm, bookyear1915